Photo Elian Chrebor

Programme de Kamilya Jubran

« Mon questionnement sur les composants, la relation entre le Oud et la voix,
l’atmosphère et le rôle de la chanson que je chante se multiplie et s’intensifie. Dans ce spectacle, je présente quelques chansons sur lesquelles j’ai travaillé au cours de la dernière décennie, dans une tentative de partager ce questionnement et de le maintenir vivant. »



Aux Enfants


Ceux qui meurent derrière leurs printemps


qui grandissent derrière leurs morts
sans années

qui soient comptabilisées ni de noms.


Il n’est pas d’instants qui puissent être contés en héritage ou aux sanctuaires


Ils meurent derrière leurs morts


et se joignent à des temps qu’ils ne dessinent pas


à des lieux dissimulés entre terre et ciel.


Rien ne précède si ce n’est ce que le silence raconte de leurs peaux.


Ils meurent et ne connaissent pas leurs corps


ni de souvenir ni de honte ni de rossignol ni de saisons


ni de crépuscule ni de crainte.


Ils ferment les yeux pour ne pas voir


ce que le ciel apostat fera de leurs destinées.


Des monstres surgissent de la bible


traversent l’espace occupé par leurs corps


découpent la lumière qui ouvre leurs yeux


dissolvent leurs années à venir.


Et rien ne vient.
Ceux qui


grandissent derrière leurs absences.


Il n’est pas de jours à dénombrer ni de funérailles ou d’habitudes


Ils meurent à l’arrière de leurs sangs.


Ils ouvrent leurs blessures sans précaution ni proches.


Ils se joignent à des temps et ils ne les dessinent pas


puis ils les dessinent.


Ils se joignent à des lieux dissimulés entre terre et ciel


puis ils s’en emparent.
(Paul Chaoul)


MIFTAH AL GHORFA – La clé de la chambre


Il vit là qu’il était depuis des années sur cette même chaise de ce même café, qu’il y avait dans son nez un morceau d’étrangeté, dans sa main une poignée de rêve et sur ses yeux une goutte qui tombe d’un lieu vaste, sur ses lèvres puis sur son menton et enfin sur ses vêtements.
Il vit en cela une remise en ordre des alphabets et des choses.


Il n’a pas voulu se lever de sa chaise, se lever est parfois une lourde charge.

Il n’a rien voulu bouger. Un amas accroupi sur lui-même.

S’asseoir est un acte de peur inconnu d’identité, de résidence, d’ascendance et d’époque.


Ça l’ a beaucoup chagriné de vieillir, ça l’a encore plus chagriné de vieillir tout seul, un autre parmi les autres.


Pourquoi ne vieillis-tu pas comme tu dois vieillir ?

Pourquoi ton vieillissement ne serait-il pas juste à toi sans contamination des écrans, des histoires et des guerres ?


Qu’ est donc ce monde où se ressemblent les êtres et les choses ?

Puis il a murmuré que c’ était l’enfer, puis il s’est rendu compte que c’ était le lieu où il n’y avait plus rien qui lui ressemble.

(Paul Chaoul)


QAWAFEL – Caravanes


En dévalant la montagne


court ton cheval en trottinant


déposant dans le corps du nuage étourdi dans son coton cardé


les traces de ses sabots d’or
traînant derrière lui
sa longue queue de soufre


tel un avion aux yeux brillants dans le noir


telle une terre sombre de sable mouvant.


Au fond la vallée


où la solitude avec ses phares abandonnés


jette ses ombres sur des caravanes cheminant vers leur labyrinthe


une terre brûlée avec des yeux de braise


guide nos pas pour toujours


lavant nos visages de l’eau de sa douce source


dévoilant notre sainte nudité


nous qui voyageons vers le futur


sans bagages


(Fadhil Al Azzawi)


YOQAL (ON DIT)


Couronne, ivoire


et couronne de verre


et couronne de saj*
saj, chair de poule


saj, pain


pain dans le four. Moule et sa rouille,


vibration étouffée dans son écho,


écho rouillé atterrissant sous notre respiration,


il nous a laissés sans oreiller et nos âmes sans suppliques.


Orange, comme on dit, tu n’es pas mienne


tu n’es pas à moi, beauté sidérante


ta tristesse sur ta terre a élevé des générations


Orange, confiture de paresse


Il n’a pas menti celui qui a dit, l’occupation est perturbation, réduction et décadence, personne ne dit le
 contraire, même les adversaires.


Des montagnes crient, des collines pleurent, des enfants errent, mauvaise humeur, Bilal a chanté:


dérober c’est bien


Toi mon domaine et toi ma richesse


Tes larmes sont les miennes, ils ont trahi et ils nous ont vendus, leur religion est notre nourriture,

ils nous 
ont trompés, sais-tu,

voilà notre héritage.
tes larmes sont les nôtres, ton chemin est sûr:

un peuple en révolte avec un coeur tendre, trouvera sa
liberté.


Saj: four à pain bombé en métal.
(Kamilya Jubran)


6


Nul n’échappe à la tourmente


Pierre qui raconte sur les terres


sans voix ni sang


pas un seul juge dans l’univers.


Pierre hachée, fer pilé, arbres arrachés, montagne fondue.


Rêve inassouvi, lamentations d’oliviers, chagrin enraciné, vieillard éploré.


Source empoisonnée, pain hypothéqué, peuple insatiable, grossesse décevante.


Nouveau-né mal loti, os perforé, tumeur minée, douleur exhalée.


Fatigue enterrée, paresse garantie, haine folle, immoralité pétrie


Corps accablé, époque abominable, colère moite, rage aveuglante.


Amour interdit, oppression nourricière, pensée en arrêt, roi imbécile, vieille mule, prince abusif,


Inculture amie, qui prend de grands airs,


Conscience absente, caractère impulsif.


La queue du chien ne se redresse pas,
même enserrée dans un moule


(Kamilya Jubran)


KAM – Ô combien


Ô combien nous avons marché, tout légers et pressés


Ô comme nous avons lentement marché, et nous n’avons pas atteint notre dessein


Ô combien la peur a guidé nos pas.

Nous avons soif et ne trouvant aucun puits, nous avons faim et n’avons plus de nourriture


Ô combien nous jetons le sable aux quatre vents afin de mettre en confiance ceux qui n’en avaient point et ils n’ont point de confiance


Combien nous avons exploré les vallées, les dunes et n’avons rien aperçu
Ô combien nous avons espéré, désespérés


Ô combien.


Ô combien nous nous sommes réveillés avec les premières lueurs trouvant bonne la douceur de la couchette


Ô combien sur l’épaule nous avons porté nos fusils qui n’étaient pas chargés


Ô combien nous avons tiré sans toucher aucun oiseau aucune proie


Ô combien nous avons rempli nos gourdes et l’eau s’en écoulait le long du chemin


Ô combien nous avons partagé la fraternité avec nos frères sans piper mot


Ô combien de silence et de vide nous entouraient et éparpillaient nos idées
Rien dans la paume.

Rien.

Je remue légèrement ma main et me lève pour suer. Ma station est ici. Ma destination est ailleurs.

Ô vagues dansantes notre vertige est léger. On a perdu nos certitudes.
Aucune intention n’est confiante en cette clarté. On rit sans croire en nos éclats de joie. On pleure sans en connaître les raisons. On ne supporte plus les tambours de la parole. On ne supporte plus les tambours de la guerre. Vidons le corps de ses heurts. Menons cette nuit sur le sentier du silence.


Le silence.

Les lèvres sont prêtes.

Que reste-il de l’amour ? Ah ! Pas d’interdit. Juste la rencontre des corps. Juste un toucher froid.
(Hassan Najmi)