Voix & Oud
كاميليا جبران

« Mon questionnement sur les composants, la relation entre le Oud et la Voix, l´atmosphère et le rôle de la chanson que je chante, se multiplie et s´intensifie. Dans ce spectacle, je présente quelques chansons sur lesquelles j´ai travaillées au cours de la dernière décennie dans une tentative de partager ce questionnement et de la maintenir vivant ».
Biographie
Kamilya Jubran a grandi à Al Rameh, un village palestinien situé en Galilée, au nord d’Israël. Élevée par ses parents mélomanes, elle a été initiée à la musique classique arabe, et notamment par son père Elias Jubran, professeur de musique et facteur d’instruments. À l’âge de 18 ans, Kamilya s’installe à Jérusalem, où elle étudie à l’université hébraïque, et explore simultanément sa nouvelle voie musicale en rejoignant le groupe Sabreen basé à Jérusalem-Est.
http://www.sabreen.org.
Avec le groupe, elle a enregistré quatre albums et effectué des tournées dans de nombreuses villes locales et internationales. Les deux décennies très riches et intensives de travail constant avec le groupe l’ont poussée à approfondir ses recherches musicales et par conséquent à façonner et remodeler son identité musicale.
Depuis 2002, Kamilya vit en Europe, le premier déménagement s’est fait en Suisse, puis un an plus tard à Paris, où elle est basée.
En 2014, elle fonde l’association Zamkana, une organisation à but non lucratif qui soutient et accompagne des projets artistiques originaux et innovants, dans le respect des valeurs de liberté d’expression et de laïcité.
كاميليا جبران
Programme de Kamilya Jubran du 31 mai au Belvédère du Rayon Vert
Aux Enfants
Ceux qui meurent derrière leurs printemps
qui grandissent derrière leurs morts
sans années qui soient comptabilisées ni de noms.
Il n’est pas d’instants qui puissent être contés en héritage ou aux sanctuaires
Ils meurent derrière leurs morts
et se joignent à des temps qu’ils ne dessinent pas
à des lieux dissimulés entre terre et ciel.
Rien ne précède si ce n’est ce que le silence raconte de leurs peaux.
Ils meurent et ne connaissent pas leurs corps
ni de souvenir ni de honte ni de rossignol ni de saisons
ni de crépuscule ni de crainte.
Ils ferment les yeux pour ne pas voir
ce que le ciel apostat fera de leurs destinées.
Des monstres surgissent de la bible
traversent l’espace occupé par leurs corps
découpent la lumière qui ouvre leurs yeux
dissolvent leurs années à venir.
Et rien ne vient.
Ceux qui
grandissent derrière leurs absences.
Il n’est pas de jours à dénombrer ni de funérailles ou d’habitudes
Ils meurent à l’arrière de leurs sangs.
Ils ouvrent leurs blessures sans précaution ni proches.
Ils se joignent à des temps et ils ne les dessinent pas
puis ils les dessinent.
Ils se joignent à des lieux dissimulés entre terre et ciel
puis ils s’en emparent.
(Paul Chaoul)
MIFTAH AL GHORFA – La clé de la chambre
Il vit là qu’il était depuis des années sur cette même chaise de ce même café, qu’il y avait dans son nez un morceau d’étrangeté, dans sa main une poignée de rêve et sur ses yeux une goutte qui tombe d’un lieu vaste, sur ses lèvres puis sur son menton et enfin sur ses vêtements.
Il vit en cela une remise en ordre des alphabets et des choses.
Il n’a pas voulu se lever de sa chaise, se lever est parfois une lourde charge. Il n’a rien voulu bouger. Un amas accroupi sur lui-même.
S’asseoir est un acte de peur inconnu d’identité, de résidence, d’ascendance et d’époque.
Ça l’ a beaucoup chagriné de vieillir, ça l’a encore plus chagriné de vieillir tout seul, un autre parmi les autres.
Pourquoi ne vieillis-tu pas comme tu dois vieillir ? Pourquoi ton vieillissement ne serait-il pas juste à toi sans contamination des écrans, des histoires et des guerres ?
Qu’ est donc ce monde où se ressemblent les êtres et les choses ? Puis il a murmuré que c’ était l’enfer, puis il s’est rendu compte que c’ était le lieu où il n’y avait plus rien qui lui ressemble. (Paul Chaoul)
QAWAFEL – Caravanes
En dévalant la montagne
court ton cheval en trottinant
déposant dans le corps du nuage étourdi dans son coton cardé
les traces de ses sabots d’or
traînant derrière lui
sa longue queue de soufre
tel un avion aux yeux brillants dans le noir
telle une terre sombre de sable mouvant
Au fond la vallée
où la solitude avec ses phares abandonnés
jette ses ombres sur des caravanes cheminant vers leur labyrinthe
une terre brûlée avec des yeux de braise
guide nos pas pour toujours
lavant nos visages de l’eau de sa douce source
dévoilant notre sainte nudité
nous qui voyageons vers le futur
sans bagages
(Fadhil Al Azzawi)
YOQAL (ON DIT)
Couronne, ivoire
et couronne de verre
et couronne de saj*
saj, chair de poule
saj, pain
pain dans le four. Moule et sa rouille,
vibration étouffée dans son écho,
écho rouillé atterrissant sous notre respiration,
il nous a laissés sans oreiller et nos âmes sans suppliques.
Orange, comme on dit, tu n’es pas mienne
tu n’es pas à moi, beauté sidérante
ta tristesse sur ta terre a élevé des générations
Orange, confiture de paresse
Il n’a pas menti celui qui a dit, l’occupation est perturbation, réduction et décadence, personne ne dit le
contraire, même les adversaires.
Des montagnes crient, des collines pleurent, des enfants errent, mauvaise humeur, Bilal a chanté:
dérober c’est bien
Toi mon domaine et toi ma richesse
Tes larmes sont les miennes, ils ont trahi et ils nous ont vendus, leur religion est notre nourriture, ils nous
ont trompés, sais-tu, voilà notre héritage.
tes larmes sont les nôtres, ton chemin est sûr: un peuple en révolte avec un coeur tendre, trouvera sa
liberté.
- Saj: four à pain bombé en métal.
(Kamilya Jubran)
6
Nul n’échappe à la tourmente
Pierre qui raconte sur les terres
sans voix ni sang
pas un seul juge dans l’univers.
Pierre hachée, fer pilé, arbres arrachés, montagne fondue.
Rêve inassouvi, lamentations d’oliviers, chagrin enraciné, vieillard éploré.
Source empoisonnée, pain hypothéqué, peuple insatiable, grossesse décevante.
Nouveau-né mal loti, os perforé, tumeur minée, douleur exhalée.
Fatigue enterrée, paresse garantie, haine folle, immoralité pétrie
Corps accablé, époque abominable, colère moite, rage aveuglante.
Amour interdit, oppression nourricière, pensée en arrêt, roi imbécile, vieille mule, prince abusif,
Inculture amie, qui prend de grands airs,
Conscience absente, caractère impulsif.
La queue du chien ne se redresse pas,
même enserrée dans un moule
(Kamilya Jubran)
KAM – Ô combien
Ô combien nous avons marché, tout légers et pressés
Ô comme nous avons lentement marché, et nous n’avons pas atteint notre dessein
Ô combien la peur a guidé nos pas. Nous avons soif et ne trouvant aucun puits, nous avons faim et n’avons plus de nourriture
Ô combien nous jetons le sable aux quatre vents afin de mettre en confiance ceux qui n’en avaient point et ils n’ont point de confiance
Combien nous avons exploré les vallées, les dunes et n’avons rien aperçu
Ô combien nous avons espéré, désespérés
Ô combien.
Ô combien nous nous sommes réveillés avec les premières lueurs trouvant bonne la douceur de la couchette
Ô combien sur l’épaule nous avons porté nos fusils qui n’étaient pas chargés
Ô combien nous avons tiré sans toucher aucun oiseau aucune proie
Ô combien nous avons rempli nos gourdes et l’eau s’en écoulait le long du chemin
Ô combien nous avons partagé la fraternité avec nos frères sans piper mot
Ô combien de silence et de vide nous entouraient et éparpillaient nos idées
Rien dans la paume. Rien. Je remue légèrement ma main et me lève pour suer. Ma station est ici. Ma destination est ailleurs. Ô vagues dansantes notre vertige est léger. On a perdu nos certitudes.
Aucune intention n’est confiante en cette clarté. On rit sans croire en nos éclats de joie. On pleure sans en connaître les raisons. On ne supporte plus les tambours de la parole. On ne supporte plus les tambours de la guerre. Vidons le corps de ses heurts. Menons cette nuit sur le sentier du silence.
Le silence. Les lèvres sont prêtes. Que reste-il de l’amour ? Ah ! Pas d’interdit. Juste la rencontre des corps. Juste un toucher froid.
(Hassan Najmi)
L´improvisation fait partie intégrante de la musique arabe.
Interview Radio France
Extrait du site kamilyajubran.com
D’où vient cette voix ? Du plus profond de soi ? Ou de très haut ?
Écouter le groupe palestinien Sabreen et sa chanteuse principale, la brillante Kamilya Jubran, à l’Opéra du Caire ce dimanche a été une révélation. À quoi pouvait-on s’attendre ? À quelque chose d’essentiellement arabe, puisqu’il s’agissait du Festival de musique arabe, et à quelque chose d’essentiellement palestinien, puisqu’il s’agissait d’une troupe de Jérusalem.
Arabes, palestiniens, assurément. Et plus encore.
Si leur point de départ est la musique « arabe », ce n’est qu’un point de départ, un terrain d’innovation. Ils ont donc intégré des sonorités différentes, des instruments comme le violoncelle, et parfois même des interprètes non arabes. « Nous cherchons à créer une sorte d’harmonie entre ces sonorités très différentes. Nous cherchons à nous ouvrir à différentes expériences musicales. Ainsi, une grande partie de notre musique reflète un dialogue entre le jazz et la musique arabe. Même notre approche des instruments arabes traditionnels est différente. Notre façon de jouer du oud, par exemple, en lui donnant de nouveaux rythmes », explique Kamilya Jubran.
La première chanson interprétée par Sabreen est tirée de leur premier album, « Dukhan Al-Barakin » (Fumées des volcans). « On Man » est un poème de Mahmoud Darwich mis en musique par le fondateur de Sabreen, le compositeur Saïd Murad. Sorti au début des années 1980, cet album marque la première période, déterminante, de leur travail. Les paroles, en arabe classique, s’inspirent du répertoire poétique de la résistance palestinienne de Mahmoud Darwich, Samih Al-Qassem et d’autres. C’était une époque de profonds bouleversements dans le monde arabe, marquée par l’invasion israélienne du Liban et les massacres de Sabra et Chatila. Les résonances à travers le monde arabe trouvent ici un écho aigu.
Et la voix de Kamilya Jubran porte en elle toutes les émotions contradictoires et déchirantes qui sont au cœur de l’être humain, et pas seulement de l’être palestinien. C’est un appel à une vie meilleure. Sa voix est si belle qu’elle fait mal. (D’ailleurs, dans « Drink », écrite par Samih Al-Qassem, elle chantait : « Certaines chansons sont des cris qui ne sont pas agréables à écouter / Si mes chansons vous provoquent, soyez en colère. »)
Malgré son contenu et son message classiques, le style – même depuis l’époque de « Dukhan Al-Barakin » – reste atypique, avant-gardiste. C’est ce qu’ils recherchent : une musique moderne qui soit aussi arabe, une musique arabe qui soit aussi moderne. C’était évident dans « On Man ». La musique était en mouvement ; elle commençait par une mélodie enfantine, un balancement dans le vent, « pousse-moi plus haut, plus haut, plus haut ». Et puis, lentement, il s’est déplacé, dérivant vers d’autres zones, comme un bateau testant des eaux différentes, revenant vers des rivages plus familiers, plus traditionnels.